Teindre les fibres naturelles : la laine

par | Fév 20, 2023 | Teinture végétale

Michel-Eugène Chevreul, qui fut directeur de la Manufacture des Gobelins à partir de 1813 a écrit :

« teindre c’est combiner les affinités entre la structure moléculaire des fibres et celle des colorants. »

Comme je vous l’ai expliquer dans l’article sur le mordançage, on ne teint pas de la même façon les fibres animales et végétales, on ne les « prépare » pas de la même façon avant teinture.

La laine est la grande amoureuse de la teinture végétale. C’est sur cette matière que l’on obtient des couleurs vives et solides.

Les draps de laines teints ont été parmi les plus fameux produits issus des manufactures royales. Ils étaient surtout destinés à l’export au Moyen-Orient.

D’ailleurs en France, la laine a été longtemps été importé d’Espagne. Il s’agissait de la laine provenant de moutons de race mérinos. A partir de  1786 , un cheptel de cette race de mouton mérinos a été acheté à l’Espagne et c’est à Rambouillet que s’est déroulé l’expérience de son acclimatation dans nos contrées.

Je vais d’abord vous présenter les laines et ses fabuleuses propriétés avant de vous décrire le processus de teinture en lui-même.

SOMMAIRE

1. La laine et ses propriétés

    1.  Composition de la laine
    2.  Propriétés de la laine

2. Les différentes fibres de laine

    1. Alpaga / Lama / Vigogne / Guanaco
    2. Chameau
    3. Cachemire
    4. Mohair
    5. Angora

3. La laine et la teinture naturelle

    1. Potentiel Hydrogène et Laine
    2. Le processus de teinture

4. Conclusion

Belle laine cardée moutons mourérous de la ferme du lambert

1. La Laine et ses propriétés

1.1 Composition de la laine

La laine est composée de molécules de kératine (comme les cheveux). Sa structure en kératine en fait une matière non allergisante.

Sa fibre est la plus complexe chimiquement parmi toutes les fibres existantes !

A l’heure actuelle, nous ne savons toujours pas comment les colorants se fixent précisément dans la fibre.

La laine est composée de deux (2) composantes séparées et distinctes : l’ortho-cortex et le para-cortex, les deux (2) s’enroulant en spirale l’un autour de l’autre. C’est cette structure qui est responsable de la frisure de la laine. Selon les races de moutons, le ratio ortho et para-cortex changent, donnant un aspect plus ou moins frisé.

1.2 Propriétés de la laine

La laine possède de remarquables propriétés. Cependant, certains traitements, tel que le blanchiment ou le superwash peuvent altérer certaines de ces propriétés.

Toutd’abord la laine est une vraie isolatrice thermique (et acoustique)! Qualité remarquable, surtout dans les laines cardées, qui ont une structure plus relâchée, et emprisonnent ainsi beaucoup d’air entre les fibres. Plus la quantité d’air est présent les fibres, meilleure est l’isolation.

La laine est respirante : elle peut absorber 1/3 de son poids en eau sans procurer de sensation d’humidité. C’est une régulatrice d’humidité.

Elle a également la capacité d’absorber et de neutraliser la transpiration et ses odeurs. C’est pour cela que je vous conseille d’aérer vos ouvrages en laine au lieu de les laver fréquemment.

Cette capacité à absorber l’humidité en font une matière anti-statique. C’est pour cela qu’on dit que la laine est auto-nettoyante, le côté anti-statique fait fuir la poussière.

La laine naturelle est aussi très élastique, surtout humide, c’est pour cela que la laine doit toujours être séchée à plat.

Moins connu, la laine ne brûle pas facilement. Elle cesse d’ailleurs de se consumer lorsqu’on retire la flamme.

2. Les différentes fibres de laine

2.1 La laine d’Alpaga – Lama – Vigogne – Guanaco

Ce sont des animaux provenant de la famille des camélidés, originaires de la Cordillère des Andes.
Ils offrent des toisons douces, fines et très chaudes.

On retient que l’alpaga permet d’obtenir 22 couleurs uniquement par les coloris des toisons, et donne une fibre allant de 12 à 22 microns.

 

2.2 La laine de chameau

En fait de laine, le poil de chameau est un duvet léger qui provient de l’intérieur du pelage.

On le recueille lors de la mue de l’animal, une fois par an.

C’est une fibre douce et très fine.

 

2.3 Le cachemire

Le cachemire est la laine d’une chèvre vivant en Mongolie et dans l’Himalaya, et à de très hautes altitudes (jusqu’à 5000m).

C’est une fibre exceptionnellement fine, très légère et très douce, d’environ 15 à 18 microns.

2.4 Mohair

Le mohair provient aussi d’une chèvre, la chèvre angora, qui donne une fibre longue et légèrement lustrée.
Elle a la particularité de ne pas avoir de frisure (structure ortho et para-cortex particulière), c’est ce manque de frisure qui influence la réflectance de la lumière et donne cet aspect brillant.

2.5 L’angora

On prélève les fibres sur un lapin domestiqué en Europe et en Asie du Sud-Est.

La fibre a un grand pouvoir absorbant et un diamètre très fin. Cette très grande finesse demande à ce que cette fibre soit filée avec d’autres.
C’est à cause d’une mutation génétique que le pelage du lapin angora croit très rapidement. Les propriétaires de lapin angora doivent, chaque jour, brosser leur animal qui risque sinon de souffrir de problème de santé.

C’est une fibre longue qui est en générale peignée, elle est souvent naturellement blanche et d’une grande finesse (13-14 microns).

le joli museau d’une chèvre mohair

3. La laine et la teinture naturelle

On a vu que la structure en kératine de la laine est très complexe.

Autant préciser tout de suite qu’encore aujourd’hui la façon dont les colorants se fixent sur la laine n’est pas élucidé !

3.1 Laine et Potentiel hydrogène (PH)

PH : le potentiel hydrogène est une mesure de l’activité chimiques des protons ou des ions hydrogène en solution

La laine est une fibre protéinique (qui contient entre autres des acides aminés acides et basiques).

On dit que la laine est amphotère. C’est-à-dire qu’elle est capable de se combiner aux acides comme aux bases, elle s’adapte aux conditions de PH.

Le PH de la laine est de 4,8 (entre le PH de la bière et celui du café).

La fonction basique de la fibre permet de fixer directement les colorants basiques dit substantifs tel que la curcumine du curcuma.

 

Pour les colorants nécessitant un mordançage, ce sont des colorants dont le PH est trop faiblement acide pour se fixer directement sur les sites basiques de la fibre.

Lors du mordançage, les sels métalliques sont hydrolysés, les anions se fixent sur la fibre. Lors de la teinture, ces anions formeront un complexe stable avec le colorant.

 

Pour améliorer l’homogénéité de la teinture, on peut également ajouter des adjuvants d’acides organiques (citriques, oxaliques, acétiques,…) au bain de mordançage.
On comprend l’intérêt de la crème de tartre (acides tartriques) ou celui de l’usage des bio-mordants (acides oxaliques) lors du mordançage.

 

A noter que la laine est très sensible à un bain qui serait trop basique. Elle se dissout dans 50g/L d’hydroxyde de sodium (soude caustique). A plus faible concentration il peut y avoir un début de feutrage. C’est pourquoi teindre la laine dans une cuve d’indigo demande un PH plus faible (PH9-10) que pour teindre du coton (PH 11).

Nappes cardées teinte à l’indigo(bleu), à la garance (rouge) et avec une sur-teinture au réséda (vert)

3.2 Le processus de la teinture de la laine

Lors que la fibre est plongée dans le bain de teinture, l’eau fait augmenter la taille de ses pores. Pour la laine on passe de 0,6nm à 41nm environ. Cette ouverture des pores permet la pénétration du colorant. A noter que plus la pénétration est lente, plus la couleur sera homogène.

L’idéal est d’avoir la possibilité de maintenir le bain à la même température, une fois cette température obtenue.

Sinon pour certaines couleurs, la teinture à température ambiante fonctionne bien. Un peu comme le mordançage à froid, on laisse le temps faire son oeuvre. Un 1er coup de chauffe pendant 20 min puis on couvre la marmite, et on laisse les fibres reposer 24h en tournant de temps à autre.

Autre recommandation : avant le saut des fibres dans le bain de teinture, il s’agira de bien les laisser tremper dans de l’eau (minimum 20min), pour que la fibre soit saturée d’eau et qu’il ne reste plus d’air dans les fibres. Cette opération permettra aussi une meilleure homogénéité de la couleur.

On peut décomposer la teinture en différentes étapes :

  1. le colorant dispersé dans le bain de teinture migre vers les fibres
  2. il est absorbé par la surface de la fibre, tout dépend de l’affinité du colorant pour cette fibre (la substantivé du colorant)
  3. le colorant se diffuse à l’intérieur de la fibre : il s’agit de l’étape la plus lente mais qui est essentielle !
  4. le colorant se fixe dans la fibre

Pour la laine, l’essentielle en teinture est d’être attentif pour éviter que la fibre ne se feutre. Il s’agit donc d’éviter les chocs brutaux de température ! On sort pas brutalement les fibres du bain chaud de teinture, on attend qu’elles refroidissent et que le bain atteigne la température ambiante de la pièce (+ou- 5°C).

4. Conclusion

La laine est la fibre idéale pour découvrir le monde des teintures naturelles. Sa forme protéinique lui permet d’avoir des atomes crochus avec les colorants végétaux.

Une autre pratique de la teinture sur laine que je n’ai pas encore eu l’occasion de tester est la teinture par fermentation. Un processus long mais très économique en ressource : besoin en eau réduit, temps de cuisson réduit, non besoin de mordançage

La patience et l’observation seront vos alliés pour approfondir la palette des couleurs que peut vous offrir les plantes.