La chimie des plantes

par | Fév 14, 2023 | Teinture végétale

En expérimentant, les teinturiers et agriculteurs ont sélectionné les plantes ayant un grand pouvoir colorant.

L’étude de la chimie des plantes va faire des bonds de géants au XIXe, ce qui a amené ironiquement à l’invention des colorants artificiels.

Dès 1826, les travaux d’Otto Unverdorben sur l’indigo amèneront la découverte de l’aniline qui va être à la base de multitudes de recherches et de brevets sur les colorants chimiques.

Cette nouvelle industrie va provoquer des bouleversements économiques qui amèneront au déclin des entreprises travaillant autour des teintures naturelles.

Je vais vous présenter les grandes familles des colorants naturels, cette connaissance vous éclairera lors de votre pratique de la teinture.

Il faut savoir que de nombreux colorants végétaux nous sont encore inconnus ou non identifiés pour de nombreuses plantes. Les recherches sont souvent faites dans le domaine de la pharmacie ou grâce aux analyses de tissus anciens.

1 – Grand ou petit teint: définition

C’est une notion qui a persisté jusqu’à tard, même au moment de l’usage des colorants chimiques.

Autrefois, la couleur et la nature d’une étoffe permettaient de différencier riches et pauvres, avec des interdits en fonction du rang dans la société voir même selon la religion.

Au Moyen-âge, la profession de teinturier est réglementée : les officines sont spécialisées selon les couleurs et le type de fibres (soie, lin, coton, etc.). On importe des matières tinctoriales précieuses qui ajoute une forte valeur au prix des tissus.

Sous Colbert, la notion de grand et petit teint va être mis dans la loi, certaines plantes vont être classées grands ou petits teints.

Dans le cas de teinture composée, le vert par exemple, qui nécessite un bain dans une cuve de bleu et ensuite dans du jaune, les 2 plantes utilisées doivent être isse la même classe de teint (grand ou petit).

Il s’agit aussi d’une mesure protectionniste face à l’usage du pigment d’indigo issu de l’indigotier (Inde) qui tend à supplanter celui (bien moins pratique) de la coque de pastel des teinturiers (le pastel des teinturiers est cultivé et transformé en France.). Cet indigo indien est alors considéré de mauvaise teinture.

« Le grand teint, ou le bon teint, le teint qui est fait avec des drogues chères et propres à donner une couleur solide, et résistante à la détérioration exercée par le soleil. Le petit teint, ou le mauvais teint, ou le faux teint, teinture faite avec de mauvaises drogues et qui s’altère facilement. «(Ac.1835, 1878)

Aujourd’hui, on utilise cette notion pour différencier les colorants résistants à la lumière, aux lavages, à la sueur et aux frottements.

Une boule de cocagne réalisée à partir de feuilles de pastel des teinturiers collectées localement.

2. A propos de la chlorophylle et de l’indigo

 

Pour les débutants en teinture végétale, à la question, comment obtient-on du vert ? :

La 1re réponse qui fuse : « grâce aux plantes ! »

Et bien non ! Ça peut paraître contre intuitif, mais le vert, un vrai vert solide est très difficile à obtenir en teinture.

La chlorophylle est bien le pigment qui donne la belle couleur verte des plantes, et il participe activement à la photosynthèse. Mais l’extraction de ce pigment est impossible sans un procédé industriel (mis au point très récemment) qui produit de l’extrait de chlorophylle. C’est pourquoi dans l’atelier du teinturier, il est impossible d’utiliser les plantes pour obtenir du vert.

La teinture du bleu utilise une méthodologie spéciale. C’est une teinture de cuve : on doit créer des conditions particulières, c’est-à-dire pauvre en oxygène avec un PH alcalin pour que le pigment indigo devient soluble dans l’eau. C’est uniquement quand ces conditions sont réunies que l’on peut teindre nos fibres textiles.

Le pigment indigo lui-même est tiré de feuilles de plantes contenant ce qu’on appelle des précurseurs à indigo tel que la persicaria tinctoria ou encore l’ isatis tinctoria L. Le procédé de la teinture à indigo reste accessible artisanalement, mais nous ne sommes plus dans les familles de colorants d’extraction simple.

3. Les grandes familles des colorants

3.1 les flavonoïdes

C’est la famille de colorant la plus répandu dans le monde végétal. Les flavonoïdes offrent une palette intéressante dans la gamme des jaunes, bruns/jaunes, voir de verts (si on utilise comme mordants de l’acétate ou du sulfate de fer).

Si vous souhaitez changer le PH de vos bains, attention à l’usage des acides qui a tendance à éliminer le pouvoir colorant.

Dans la plante, les flavonoïdes servent surtout à attirer les pollinisateurs, protéger la plante des rayons ultraviolets, et sont aussi essentiels dans la défense contre les parasites.

Plantes contenant des flavonoïdes :

Pelure d’oignon, coréopsis, rudbeckia, bruyère, genêt, daphné-garou, robinier faux acacia, arbre-de-judée, etc…

Le moment geek:

En solution aqueuse, les flavonoïdes apparaissent très clairs voir incolores à l’œil, et pourtant dans la nature, les pétales des fleurs nous apparaissent bien jaune. On explique cela par l’agrégation de plusieurs molécules lorsqu’elles sont suffisamment concentrées et/ou la formation de complexe avec des ions métalliques. On comprend ainsi le double intérêt du mordançage (rehausse de l’intensité de la couleur et solidité de celle-ci sur le tissu).

Source : Dominique Cardon, 2014, Le Monde des teintures naturelles, édition Belin

Joli dégradé de cotons teints au réséda. Le dégradé est obtenu par un mordançage à l’alun plus ou moins concentré.

3.2 Les anthocyanes

 

Le mot anthocyane signifie « Fleur bleu sombre » en grec.

Ce sont des plantes qui offrent des couleurs intenses dans les violets et les roses, mais qui ne sont pas solides (pas grand-teint) à la lumière et aux lavages.

C’est un sous-groupe de la famille des flavonoïdes. Les anthocyanes sont très sensibles aux changements de PH.

Elles sont bien adaptées à un usage récréatif : création d’encres ou de peintures avec les enfants par exemple.

Plantes contenant des anthocyanes :

chou rouge, sureau, raisin, myrtille, prunellier, raisin d’Amérique, etc.

Le moment geek :

Les anthocyanes sont de véritables indicateurs de PH : rouge en milieu acide (<PH 2), ils deviennent bleus ou bleus violacés en milieu basique (>PH6).

3.3 Les quinones

Une famille de colorants qui possède de nombreuses sous-catégories.

Je vais d’abord  distinguer :

– Les anthraquinones, qui sont des colorants connus pour leur solidité depuis longtemps. Les anthraquinones sont une bonne source locale de rouge et de roux.

– L’autre grande famille, les naphtoquinones qui permettent l’obtention de coloris violet, brun ou roux. Les racines d’orcanette ont été utilisées pour obtenir la couleur violette surtout sur les « indiennes » (cotonnades imprimées et peintes aux Indes, très en vogue du XVIIIe au XIXe). Malheureusement, c’est une couleur assez fragile à la lumière.

On peut aussi parler des fleurs de carthame qui possèdent une composition chimique complexe et qui demandent une extraction particulière pour obtenir des couleurs uniques allant du rose fuchsia au rouge carmin.

Plantes contenant des quinones :

Garance des teinturiers, garance voyageuse, orcanette des teinturiers, carthame des teinturiers, bourdaine, nerprun, oseille, rhubarbe, etc…

Le moment geek :

L’alaternine n’a pour le moment été trouvée que dans l’écorce du nerprun alaterne.

Racine de 3 ans de garance des teinturiers et leurs graines

3.4 Les tanins

Les tanins sont très répandus dans le monde végétal et leur usage date au moins depuis la préhistoire ! C’est que les tanins sont très utiles et servent autant à colorer, qu’à mordancer, qu’à tanner les peaux… C’est un colorant substantif, c’est-à-dire qui ne nécessite pas un mordançage des fibres à teindre.

Les tanins sont de la famille des polyphénols, et ils ont un rôle de défense chimique des plantes contre les microbes pathogènes et les herbivores. On pense à la noix de galle qui est produite par le chêne suite à la ponte d’un insecte. Il s’agit d’une belle synergie nature/animal : l’arbre va produire une galle qui va également protéger et nourrir la larve de l’insecte piqueur.

Les tanins produisent des coloris bruns, ou encore gris et noir avec l’usage très ancien de sels de fer. Ce fut la base de fabrication de nombreuses recettes d’encres au Moyen-âge.

Plantes contenant des tanins:

Écorces de nombreux arbres et arbustes, noix de galles, pelure d’oignon (oui, oui), achillée millefeuille, millepertuis, ronce, peaux de grenade,etc.

Le moment geek :

Les tanins sont de très grosses molécules. Lors du processus de tannage, elles se fixent sur certaines régions de la structure du collagène des peaux et s’unissent à d’autres molécules de tanin, remplissant ainsi tout l’espace des chaînes de collagène. C’est l’explication du côté astringent ressenti lors de l’absorption des tanins au niveau de la langue et des muqueuses, on vit un début de tannage !

coloris obtenus sur cotons grâce aux noix de galles

3.5  les caroténoïdes

C’est une catégorie un peu à part dans le monde des colorants végétaux. On les trouve dans les plantes (dans les chloroplastes) mais les caroténoïdes sont souvent masqués par la chlorophylle.

Ils donnent la couleur jaune/orange aux fruits et aux feuilles en automne.

C’est également un colorant substantif (pas nécessité de mordançage), qui peut être très puissant mais plutôt non solide, surtout à la lumière.

À l’image des anthocyanes, on utilisera des plantes possédant ce type de colorant plutôt pour un usage récréatif et pédagogique.

Plantes contenant des caroténoïdes :

les racines de curcuma, certains œillets d’inde, ajonc d’Europe, genêt à balais, etc.

Le moment geek:

Le rocou, graine d’un arbre tropical (Bixa orellana L.) qui contient des caroténoïdes est utilisé dans l’industrie alimentaire pour donner la croûte orange de certains fromages.

3.Conclusion

 

On le voit la chimie des plantes est riche et complexe. Reste à préciser que la plupart des plantes contiennent différents types de colorants, de différentes familles. L’oseille sauvage par exemple contient des tanins et des anthraquinones en proportions différentes selon la partie de la plante utilisée, mais également en fonction de l’espèce.

Dans cet article, je n’ai pas non plus abordé le sujet des alcaloïdes, des principes actifs utilisés en phytothérapie, mais qui peuvent être source d’intoxication. La chélidoine par exemple, ou Herbe-aux-verrues, qui donne une jolie couleur jaune, peut être toxique si consommée crue, voir provoquer des dermites irritatives …. Prudence donc !

Connaître les familles des colorants est intéressant pour comprendre certains mécanismes observés lors de la pratique de la teinture naturelle. Ce savoir nous permet d’évoluer et d’expérimenter un peu plus la magie des couleurs végétales.