Mordre la couleur

par | Déc 13, 2022 | Teinture végétale

Les mordants sont les alliés quasi indispensables de la pratique de la teinture végétale. Leur application est cruciale pour une bonne tenue des fibres à la lumière et au lavage (on parle de « solidité »), ainsi qu’à l’uniformité des couleurs.

Je vais vous présenter les méthodes les  plus connues, la bonne façon de les mettre en pratique, les précautions à prendre et comment les recycler.

Exemple de tests de solidité lumière : la partie plus claire a été exposé au soleil direct, derrière une vitre pendant 1 mois.

1. Mordant, une définition

 

Le mordant est une molécule qui permet de créer un « pont » chimique entre la fibre et les colorants de la plante.

1.1 Les Sels métalliques

 

Quand on parle de mordants, il s’agit souvent de sels métalliques, tels que l’alun de potassium (KAl(SO4)2, 12H2O une de ses formes naturelles) ou le fer ou encore du cuivre (sulfate ou acétate). De nos jours, on n’utilise plus l’étain qui était un mordant privilégié sous Louis XIV et pourtant très polluant.

L’alun est lui aussi souvent décrié et on s’en méfie. Il en existe très peu sous forme naturelle. Depuis l’Antiquité, on a appris à en fabriquer à partir de schistes ou d’argiles.

Dans la même famille, on remarque que l’alumine (Al2O3)est le 3ème composant le plus abondant sur Terre.  On le retrouve dans les argiles, l’alun, les schistes ou encore la bauxite. Pour en savoir plus sur les aluns naturels, artificiels ou de synthèse, ce lien vous sera très utile.

Bien sûr, il existe des mines de bauxites dans des pays du sud ayant des conditions de travail inacceptables et des rejets très polluants, mais comme partout, il est important de « tracer » l’origine des produits que l’on achète.

Le fer peut-être utilisé comme mordant sous sa forme de sulfate ou d’acétate. L’acétate de fer est très facile à fabriquer à partir de vinaigre blanc et de clous rouillés. Il faut être prudent lors son utilisation car sur la laine, il peut rendre la fibre cassante.

1.2 Les bio-mordants

 

1.2.1 L’acide oxalique

On le trouve sous forme naturelle d’oxalate de potassium, dans les feuilles de rumex, de rhubarbe, de betterave et des plantes faisant partie de la famille des oxalis. Les racines de ces mêmes plantes en contiennent également, mais elles ont aussi un pouvoir colorant, ce que n’est pas forcément recherché pour le mordançage.

On utilisera ce type de mordant de préférence avec des fibres protéiques (laine, soie, etc…). Cela peut être également une bonne base pour les gens souhaitant tester la teinture par fermentation.

Attention cependant, l’acide oxalique est toxique à forte dose et il faut absolument éviter d’en respirer les vapeurs.

 

1.2.2 L’acide gallique

On le trouve à l’état naturel sous forme de galles de chêne, de sumac, de feuilles de thé, sa formule chimique est le C6H2(OH)3COOH.

On l’utilise surtout sur les fibres cellulosiques qui ont un besoin de ce mordançage spécifique pour avoir de belle couleurs solides.

 

1.2.3 Feuilles de Symplocos et Lycopode

Ces deux plantes sont considérées comme des mordants car elles sont accumulatrices d’alumine.

Le Symplocos est un arbre poussant dans des régions tropicales et dont les feuilles ont une forte teneur en aluminium. J’en profite pour parler de Teinture Sauvage, une teinturière spécialisée dans la teinture laine mordançée avec les feuilles de symplocos, elle a écrit un article intéressant à ce sujet.

Le Lycopode est une plante ressemblant a de la mousse, sa teneur en aluminium est moindre et de plus elle est menacée. On peut en trouver à l’état naturel en Grande-Bretagne par exemple.

Exemple de tests avec une encre mordant noix de galles + acétate de fer

1.2.4 Le lait de soja

Très en vogue sur les réseaux sociaux, je n’ai jamais obtenu de bons résultats de « solidité » lumière avec un mordançage au lait de soja.

C’est une technique qui peut être amusante à mettre en œuvre avec des fibres cellulosiques mais attention au lavage et à la lumière !

2. A chaud ou à froid ?

 

Pour des questions d’économie d’énergie, on peut s’interroger à ce sujet !

Ce qui est important à savoir c’est que des fibres mordancées peuvent être stockées une longue période avant la mise en teinture. On peut donc mordancer une grande quantité de fibres à l’avance.

Ici je propose des méthodes de mordançage avec le sel métallique le plus couramment utilisé, l’alun.

 

2.1 La méthode à chaud

 

C’est la méthode la plus simple à mettre en place. Le calcul de la quantité d’alun se fait toujours d’après le poids de la fibre à teindre (PDF) sèche.

Pour la laine, on peut aussi utiliser la crème de tarte comme adjuvant. On obtient des couleurs plus vives et soutenues : la crème de tartre convertirait une partie de l’alun en alumine, et cette molécule serait plus efficace pour capter les colorants des végétaux.

 

2.1.1 Fibres protéiques

Par rapport au poids de fibre à teindre (PDF) : 10 – 20% d’alun et 5% de crème de tarte.

  • Mettre les mordants à dissoudre dans de l’eau chaude (40°C)
  • Lorsque le liquide est devenu translucide, le mettre dans la marmite qu’on remplira d’eau (suffisamment pour les fibres puissent bien se mouvoir).
  • Avant de les fibres dans le bain de mordançage, il faut penser à bien les gorger d’eau (pour une meilleure répartition du mordant)
  • Plonger les fibres dans le bain de mordançage et laisser chauffer pendant 1h en remuant doucement (pour ne pas feutrer !) et régulièrement.
  • Bien laisser les fibres refroidir dans le bain.
  • Essorer, rincer, laisser sécher et stocker pour plus tard. Pour une utilisation immédiate, rincer les fibres avant le bain de teinture (pour éliminer l’alun qui n’a pas pénétré la fibre).

 

2.1.2 Fibres cellulosiques

Pour les fibres cellulosiques, un engallage est indispensable avant un mordançage à l’alun.

On utilise la méthode vue plus haut.

2.2 La méthode à froid

 

2.2.1 Fibres protéiques

Le chauffage n’est pas indispensable pour un bon mordançage, mais le temps oui ! Il faut bien laisser les fibres dans le bain de mordant pendant 24h ou encore 48h, et les remuer de temps en temps. De préférence, il faut que le bain reste à température ambiante (20°C).

C’est l’idéal pour éviter le feutrage des laines. Il suffit de faire comme décrit précédemment sans faire chauffer les fibres.

 

2.1.1 Fibres cellulosiques

Une bonne méthode de mordançage à froid avec des fibres cellulosiques est celle utilisant l’alumine d’alun.

On peut trouver de l’alumine d’alun dans les sites de droguerie ou fabriquer une solution d’acétate d’alumine à partir d’alun et de vinaigre.

Ci-dessous la recette  :

Préparer une solution d’acétate d’alumine :

Ingrédients :

  • 200 g d’alun
  • 20 litres d’eau chaude
  • 100 g de cristaux de soude
  • 2 litres de vinaigre blanc

Préparation :

  • Dissoudre l’alun dans l’eau chaude
  • Quand l’eau est encore chaude, ajouter les cristaux de soude.
  • Laisser reposer 2 minutes. Du gaz carbonique est dégagé par la réaction de l’alun, acide, avec la soude, basique.
  • Ajouter progressivement le vinaigre blanc, la solution redevient translucide.

(Cette préparation a une durée de vie limitée, on peut la conserver 1 semaine en la mettant à l’abri de la chaleur et la lumière.)

Quand la préparation est prête, il suffit de laisser tremper les fibres pendant 10min, puis de faire sécher bien à plat les fibres.

On peut ensuite les stocker pour une durée indéterminée.

Avant la teinture il faudra les tremper dans une solution eau + craie ou eau + blanc de meudon, puis bien les rincer. Le tissu doit retrouver un PH neutre (7).

3. Conclusion

On le voit, la teinture naturelle n’est pas d’une écologie à toute épreuve, surtout en ce qui concerne le mordançage.

Les sels métalliques doivent faire l’objet d’un travail de recherche concernant leur recyclage et leur origine.

Pour le soja se pose la question de sa culture et de son lieu de production. (exemple du Brésil, la culture de soja grignote l’espace de la forêt) .

Le problème des feuilles de symplocos est qu’elles viennent de pays lointains (bilan carbone ?).

La teinture naturelle reste néamoins bien plus vertueuse que la teinture chimique.

Attention à la manipulation des mordants sels métalliques : TOUJOURS porter gants et masques, faire ses préparation de mordants de préférence à l’extérieur. Ne JAMAIS utiliser ses marmites de cuisine pour y mettre des sels métalliques.

On peut toujours réutiliser ses bains de mordants à l’alun pour mordancer de nouveau (dans ce cas, on ajoute moins d’alun pour le mordançage suivant).

On peut également s’en servir pour fabriquer des pigments végétaux avec les fins de bain de teinture.

Le mordançage est un travail infini et fascinant et permet de faire varier les couleurs végétales avec subtilité.

Il existe encore de nombreuses méthodesc: mono-bain, création d’encrse textiles par exemple, qui permettent de fixer la couleur végétale sur le textile.